Le Huffington Post / Fatiha Boudjahlat : Après les attentats, l’Appel qui manque à la Nation: Réarmons la République!

Nous avons célébré le souvenir de l’Appel du 18 Juin 1940, sans préciser ce qui faisait sa particularité ni prendre conscience de son étonnante actualité: face à un ennemi, il faut lancer un Appel à la mobilisation des citoyens!

Cet Appel, diffusé sur les ondes de la BBC mais que presque personne n’a entendu à l’époque, répondait au discours de Pétain du 17 Juin. Le Maréchal y incitait à cesser les combats, à se regrouper derrière lui qui faisait à la France « le don de sa personne pour atténuer son malheur« . Comment réagir après une telle invitation au repos? Face à un discours de celui qui mêle sa stature militaire à l’aspect sentimental et affectif du père protecteur? Qui dispense de lutter? Pétain terminait par l’annonce de la recherche de dialogue avec l’adversaire qui n’était donc plus l’ennemi. Un dialogue dont il dissimula la dissymétrie, parce que c’est le rapport de force qui conditionne les interactions politiques.

Le choix de De Gaulle ne fut pas le dialogue, l’échange d’option. Son choix se porta sur l’Appel. Un discours prononcé et dressant le diagnostic de la défaite, résumé et distribué sous la forme plus connue d’affichettes placardées et se concluant par ces célèbres mots: « Notre patrie est en péril de mort! Luttons tous pour la sauver!« . De Gaulle formulait la marche à suivre, appelant chacun à prendre ses responsabilités et à agir. Ce n’est pas un acte rhétorique anodin que celui de l’Appel. Philippe-Joseph Salazar le rappelle dans son ouvrage Paroles Armées, Comprendre et combattre la propagande terroriste (1): « L’appel était une clef rhétorique de notre culture politique », mêlant art oratoire et harangue militaire. Il poursuit: « Le levier d’une rhétorique de l’appel est éthique: l’appel offre une nouvelle ouverture au sens moral, celle qui conduit au dépassement de soi, à la fois territorial et mental. Le dialogue, par contraste n’est pas éthique, il est managérial: il ne place personne face à ses responsabilité morales (…) et offre en outre le partage des responsabilités (…), il indique un lieu commun (…) mais pas le trajet « .

Après les attentats terroristes islamistes de janvier et de novembre 2015, l’exécutif a manqué à ses devoirs rhétoriques mobilisateurs. Il ne s’agissait pas de communier en déposant des chrysanthèmes. Il s’agissait de lancer un Appel. Les Français y étaient prêts, ceux-là mêmes qui défilèrent le 11 Janvier. Mais rien ne s’est passé. L’ennemi ne fut pas identifié comme tel. Le Président Hollande déclara même dans son hommage du 13 Janvier aux trois policiers assassinés: « La folie terroriste qui les a frappés n’avait ni couleur, ni religion« . Ce terrorisme n’est pas la manifestation d’une folie, ses combattants ne sont pas des déséquilibrés. Ce terrorisme a une couleur et une religion: un Islam qui a pris la teinte noire radicale du drapeau de Daech quand sa couleur verte du drapeau Saoudien porte déjà atteinte aux Droits de l’Homme et du Citoyen. Il faut nommer l’ennemi et le situer en tant qu’ennemi.

Sans lucidité ni courage, les dirigeants politiques, de Obama à Hollande, n’affrontent pas un ennemi, mais un simple adversaire, avec qui il sera envisagé, un jour prochain, de discuter. Nos hommes politiques ont déjà choisi comme interlocuteurs et représentants des musulmans des islamistes. Et ce faisant ils ont validé la communautarisation du dialogue en menant, qui plus est, ce dialogue avec les plus extrémistes. »L’Etat français est retombé dans la gestion de crise, c’est-à-dire dans les technologies du dialogue avec les « acteurs concernés«  »(1), avec des vidéos appelant à se cacher en cas de menace, quand le passage à l’action a permis d’éviter un massacre dans le Thalys. Avec des vidéos naïves pour détourner les jeunes de l’Appel Daechien. Ne pas admettre que nous sommes en présence d’ennemis, c’est ne pas admettre que nous sommes en situation de guerre. Ne pas formuler d’Appel à faire de chacun de nous des Résistants fait de nous des témoins et des victimes en puissance. Ne pas nommer la menace de l’islam présenté comme radical mais en fait dangereux juste dans sa forme orthodoxe, c’est la laisser se diffuser dans les consciences en faisant apparaître comme normale une pratique religieuse extrémiste.

P-J Salazar poursuit plus loin: « Sans culture de l’appel, sans culture du grand sermon, sans culture de la harangue martiale, nous sommes rhétoriquement atrophiés ». Cette atrophie rend les politiques timorés jusque dans leurs réactions, ménageant ceux qui devraient être poursuivis et expulsés. Le djihadisme n’est pas une opinion, c’est un crime et une trahison. C’est en ce sens, rhétorique, qu’il convient de réarmer la République (2), pour reprendre le titre du livre qu’Olivier Loubes a consacré à Jean Zay. La République n’est pas un fétiche, elle est sans cesse à construire pour être réelle. Et cette reconstruction passe par un réarmement politique et rhétorique. Oliver Loubes cite l’ouvrage de Jean Zay, rédigé en captivité, Souvenirs et solitude (3): « La France devra cimenter solidement un corps de doctrines françaises, doctrines de la liberté et de la souveraineté populaire, des devoirs librement consentis et d’autant plus fidèlement remplis, les enseigner, les imposer, enrôler à leur service, boucher les fissures par où passaient les abandons et les trahisons, ne plus souffrir qu’on transige avec l’héritage de vie, exiger qu’on le défende comme le corps et l’âme de la patrie. » Ces mots ont été écrits par un homme qui, dans sa jeunesse, fut d’abord dans le rejet de ces mots qu’il jugeait sulfureux, de patrie et d’allégeance, un homme qui devint l’honneur de la gauche, quand celle-ci portait encore l’ambition de l’émancipation. Ce n’est pas le concert de Black M pour commémorer Verdun, ce n’est pas le misérabilisme, le clientélisme électoral qui bouchent les fissures communautaristes qui lézardent notre pays. J’invite la gauche socialiste, écologiste et mélenchoniste à suivre l’itinéraire de Jean Zay.

La gauche doit se réapproprier les mots forts et justes, fraternels et ambitieux, de patrie et de souveraineté nationale autant que populaire.

L’ennemi est le même que celui qui assassina Jean Zay: le totalitarisme, sous la forme religieuse islamique cette fois-ci. Et combien ces propos de Jean Zay, tirés du même ouvrage, sonnent juste, si on prend la peine de songer à Daech et à ses alliés islamistes d’ici: « Or, au moment même où nous nous montrions volontairement si peu jacobins, de l’autre côté de nos frontières menacées, la politique envahissait au contraire l’enseignement -et quelle politique!-la culture passait après le parti, le credo politique chassait le libre raisonnement, traquait l’indépendance d’esprit, le fanatisme remplaçait l’examen. »

Il est urgent d’assumer le fait que c’est notre pays, notre modèle de civilisation, dans ce qu’il a de français et d’universel qui sont visés dans le but d’être anéantis ou convertis. Les Français sont dans l’attente de cet Appel par lequel nous ferons Nation. Il y a eu trop de minutes de silence. Rappelons-nous que la Marseillaise est notre hymne de force et de valeurs, pas une lamentation ou une marche funèbre. La République nous appelle.

(1) Lemieux éditeur, août 2015

(2) Réarmer la République! Jean Zay au Panthéon, essai d’histoire tonique, Editions Demopolis, avril 2015

(3) Paris, Belin, 2010.

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