Le Huffington Post / Fatiha Boudjahlat : L’absence aux oraux du bac pour cause religieuse est-elle une atteinte à la laïcité?

 

La note de cadrage du directeur du Service Interacadémique des Examens et Concours, incitant à anticiper le télescopage entre la fête de l’Aid el Fitr et le passage des oraux de rattrapage, et autorisant l’absence des fonctionnaires chargés de faire passer ces oraux et les lycéens les passant, a suscité un émoi légitime et pose des questions de fond. Y a t-il atteinte à la laïcité? Au principe d’égalité entre élèves?

Tout d’abord, rien de nouveau sous le soleil des fonctionnaires

Cette mesure autorisant l’absence de fonctionnaires pour des fêtes religieuses autres que chrétiennes, a été prise en compte depuis longtemps dans la fonction publique. Ainsi cet extrait de la circulaire de 1967 visait à: « rappeler aux chefs de service qu’il leur appartient, (…) d’accorder aux agents qui désirent participer aux cérémonies célébrées à l’occasion des principales fêtes propres à leur confession les autorisations d’absence nécessaires dans la mesure, toutefois, où leur absence demeure compatible avec le fonctionnement normal du service« .

Une circulaire qualifiée de pérenne et régulièrement mise à jour, fixe la liste des fêtes religieuses pour lesquelles les fonctionnaires et autres agents publics peuvent solliciter une absence, la dernière datant du 10 Février 2012. Religions orthodoxes et musulmanes se voient accordées trois jours, religion juive, quatre, les bouddhistes, une seule. Mais ces dispositions légales qui n’ont donc rien de nouveau sont emblématiques des vices et des vertus de la législation française.

L’étude du Conseil d’Etat du 20 Septembre 2013, rédigée à la demande du Défenseur des Droits, précise aux pages 15 et 16 que cette liste de fêtes n’est pas exhaustive: « Les chefs de service doivent également examiner les demandes d’autorisation d’absence fondées sur d’autres fêtes religieuses, voir sur d’autres croyances que celles inscrites dans la circulaire… « . Un gardien de la paix s’est ainsi vu donner raison face à sa hiérarchie qui lui avait refusé une absence pour cause religieuse: il s’agissait pour lui de participer à une fête raëlienne. Les absences pour motif de fête religieuse sont acceptées depuis longtemps, sous réserve que le fonctionnement normal du service soit assuré. Certains collèges sont désertés le jour de fêtes religieuses, sans conséquence.

L’absence pour motif religieux est pour ainsi dire entrée dans les mœurs après être entrée dans les circulaires ministérielles. Une seule mère d’élève de mon collège a voulu dispenser son fils de venir en classe pour cause de pratique du Ramadan. Le Principal y a mis bon ordre: la participation à une fête religieuse peut justifier une absence, pas une pratique religieuse. Pour les fonctionnaires, les absences sont accordées mais le rattrapage des heures manquées peut être exigé, c’est à la discrétion de la direction. La note du directeur de la SIEC est donc justifiée. Le passage des oraux du bac relève de ce fonctionnement normal du service, les absences religieuses ayant été anticipées, ceux-ci se sont donc déroulés normalement. Le SIEC a bien fait son travail. Fermons le ban? Non.

Qui est musulman?

La participation à une fête religieuse est-elle conditionnée à la piété? Comment connaître la religion et le degré de pratique religieuse? Questionner la personne? En juger sur son patronyme? Demander dans le cadre des fêtes juives et musulmanes à voir la preuve de la circoncision? Le vice de la Loi: à vouloir trop bien faire, on s’enferre dans des procédures éthiquement et politiquement problématiques. Puis-je changer de religion? Être musulmane et sous le coup d’une soudaine révélation, devenir juive ou orthodoxe pour cumuler les jours d’absence? Le chef de service ou la direction en vient de plus à connaître la religion de ses agents, ce qui contrevient au principe de neutralité.

C’est encore plus grave pour les lycéens. Un agent n’a pas le droit de se mêler de la vie privée des usagers. Sur quoi se base-t-il pour autoriser une absence à une convocation d’une épreuve d’un diplôme national? Déduire du patronyme de l’élève la religion et la pratique religieuse, c’est de la discrimination positive au mieux, de l’essentialisme ethnico-religieux au pire. Que faire avec les convertis, qui cachent bien leur jeu?

L’obséquiosité de l’Etat dans cette anticipation

L’ordonnance du Conseil d’Etat du 16 Février 2004 a acté que l’autorisation d’absence même pour motif religieux pouvait être légalement refusée aux fonctionnaires du fait des nécessités de service public. Le passage d’un oral d’un diplôme aussi important pouvait en relever tout autant, en raison de l’égalité entre les lycéens. Certains ont donc bénéficié d’un jour de révision supplémentaire.

L’Administration a fait le choix de la conciliation. Soit. Ce faisant, elle a favorisé une dimension de prescription jurisprudentielle par auto-réalisation. L’Etat anticipant ces absences, il acte et donc enjoint à la normalisation d’une pratique orthodoxe de la religion.

La normalisation par l’Etat d’une pratique orthodoxe

Si les lycéens n’en avaient pas été informés, ils se seraient rendus à leur convocation, parce qu’il n’est pas absurde de se dire que passer le bac est plus important que de rater une fois une fête religieuse. Avec cette disposition rappelée par le SIEC, même ceux qui n’envisageaient pas de s’absenter ont pu le faire par opportunisme, mais aussi parce que l’Etat est venu leur signifier qu’être musulman, c’est fêter l’Aïd, c’est donc bénéficier d’un système dérogatoire à la loi en raison de ses convictions religieuses mais pire, en fonction de ses origines: l’administration déduit la religion et la piété du patronyme du lycéen ou du fonctionnaire.

C’est bien en partie l’obséquiosité de l’Etat qui favorise le renouveau des pratiques religieuses. Il en fait la norme et donc la normalité. L’Etat le permet, ne pas le faire est bien la preuve d’une absence de piété. Celui qui se sera rendu à cet oral ne sera-t-il pas un mauvais musulman?

Cette prise en compte de plus en plus prégnante des individus et de leur appartenance communautaire conduit à cette personnalisation des lois typiques d’une société multi-culturelle.

Noël-Aïd, même combat?

J’entends certaines personnes me dire que les Chrétiens bénéficiant de fêtes religieuses chômées, il serait injuste d’en priver les pratiquants des autres religions. J’ai eu droit à deux justifications : tout autoriser au nom de la laïcité, celle qui est ouverte et généreuse. Tout interdire au nom de la laïcité, celle qui est ferme et aveugle.

Tout d’abord, les fêtes chrétiennes évoquées profitent à tous « sans distinction de race, de religion et d’origine ». Je n’ai jamais entendu un élève musulman, orthodoxe, juif, ou athée se plaindre de ces jours fériés.

Ensuite, je défends le maintien des jours fériés correspondant au calendrier chrétien, toute « laïque intransigeante » que je suis. On ne peut mettre sur le même plan historique et légal l’Aïd, Roch Hachana et Noël. Sauf à basculer dans un relativisme culturel que les extrémistes religieux appellent de leurs vœux: tout se vaut, toutes les fêtes se valent, toutes doivent donner lieu à des jours chômés en fonction de l’appartenance à une communauté. Eh bien non.

Il y a une histoire, un patrimoine culturel historique dont il faut tenir compte. La Loi de 1905 n’abolit pas le passé, pas plus qu’elle n’abolit la mémoire et la notion d’héritage. Les derniers arrivés sont nouveaux. C’est le sens du « Après-vous » principiel du philosophe Lévinas. La société n’a pas à prendre en compte toutes les revendications communautaires au nom de cet égalitarisme qui s’avilit en relativisme et équivalence anhistoriques.

Quand l’Etat terroriste Daesh détruit les vestiges de pratiques religieuses autres que musulmanes, il ne cherche pas seulement à frapper de stupeur nous autres européens si prompts à muséifier ce passé. Il cherche à abolir l’histoire, le passé, la mémoire d’une religiosité antérieure à leur vision de l’islam. Il y a une antériorité chrétienne en France. La prise en compte de cette antériorité ne fait pas de moi une chrétienne. Par la laïcité et les vertus républicaines d’une Nation politique, j’embrasse cet héritage pour ce qu’il est. Le signe que le monde existait avant moi et que l’histoire ne commence pas avec mes revendications.

L’Etat et ses haut-fonctionnaires devraient se souvenir qu’ils servent la République, qu’ils agissent au service des citoyens et qu’ils n’ont pas à satisfaire des clientèles communautaires. L’Etat cherchant à aller au-devant des revendications fournit le marche-pied aux nouvelles revendications. Nous ne pourrons faire l’économie d’une remise à plat politique de nos pratiques et de nos règlements.

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