Face aux violences scolaires, l’Education Nationale fait le choix des bourreaux
HUFFINGTON POST – BLOG – Les premières victimes des violences scolaires sont les enfants. Le Ministère fait le choix de les minorer et de les dissimuler, comme celles que subissent les personnels, illustrées récemment par une succession d’actes graves. Les enseignants ne déclarent que les faits les plus graves d’atteintes physiques, les violences verbales ayant été banalisées par les directions même des établissements, comme mode ordinaire d’expression des élèves. Face aux violences faites aux élèves et aux personnels, le Ministère, fort silencieux sur les agressions de ses personnels, fait le choix des bourreaux.
L’an dernier, un film produit par Melissa Theuriau censé sensibiliser au harcèlement scolaire et promu par la Ministre Vallaud-Belkacem, avait suscité, légitimement, l’ire des enseignants et de leurs syndicats. Ce film illustrait l’indifférence et l’incompréhension de la professeure des écoles face aux persécutions que des enfants faisaient subir à leur camarade. Le salut, la solution, venait d’une camarade, qui le soutenait. Attendrissant? Non, c’est la nouvelle idéologie qui s’est emparée du Ministère et qui conditionne l’action des Conseillers Principaux d’Education. Les CPE se voient en assistantes sociales bis, récusant le terme d’autorité dans leur mission.
Il y a des modes, qui demandent alors à être suivies aveuglément, avant d’être remplacées par d’autres, présentées elles aussi comme la panacée, le produit le plus innovant du moment. Et avec ce film publicitaire, ce produit a, de plus, été marqué du précieux sceau: “Vu à la télé”. Cette mode: la médiation des pairs. Les adultes doivent intervenir et interférer le moins possible dans les relations entre les élèves. Quand celles-ci dysfonctionnent, jusqu’à conduire à une situation de harcèlement, il revient aux élèves de régler le problème entre eux. C’est la grande mode et une forme d’uberisation de la vie scolaire: vous formez quelques élèves, qui devront en former d’autres. L’Education Nationale a trouvé le moyen de sous-traiter gratuitement, pour mieux s’en laver les mains, l’autorité et la gestion des conflits. C’est présenté comme le nec plus ultra qui responsabilise les élèves dans l’exacte proportion dans laquelle les adultes sont déresponsabilisés. Les élèves doivent être acteurs en tout. Et les pédagogistes sont ravis: les enseignants sont encore mis à l’index s’ils interviennent, les enfants se débrouillent mieux seuls.
Que se passe-t-il concrètement quand une situation de harcèlement est signalée? Parents, vous devez le savoir. Les enseignants sont vite évacués du traitement de la situation sur laquelle le secret règne, ils prennent tout trop à cœur, ils ne se rendent pas compte de la complexité de la situation… En général, la dimension de harcèlement est niée au prétexte de bisbilles potaches adolescentes. “Il faut bien que jeunesse se passe. Cela a toujours été comme ça.” On nie le fait que les jeunes de maintenant sont plus violents, que les réseaux sociaux rendent le calvaire des victimes permanent, que l’anomie touche autant les enfants que les adultes. Quand les parents de la victime insistent, et ils doivent insister, il faut encore attendre, parce que pour prendre une décision, les CPE et la direction donnent l’impression de devoir bâtir un dossier digne de la série New York Police: écoutes des accusés, des victimes, de leurs témoins respectifs, il faut établir des preuves… Cela prend du temps, parce qu’il s’agit de “situation complexe”. Mais la situation n’est rendue complexe que parce que la majorité des CPE va chercher à faire endosser à la victime une grande partie de la responsabilité et de la réalité du harcèlement.
C’est l’inversion des rôles et de la charge de la preuve, la victime est mise en cause: elle ne réagit pas bien, elle ne se défend pas, elle est en tort, elle doit grandir, s’affirmer. Une CPE à Marseille a ainsi conseillé à une élève insultée quotidiennement de faire intervenir son grand frère scolarisé dans le même établissement, puis de s’entraîner devant le miroir à répondre “fichez-moi la paix”, avec un air ferme et convaincu. Dans un autre collège, c’est la victime qui est jugée trop fragile, qui a la larme trop facile, une infirmière scolaire expliquant même cette hypersensibilité par le fait qu’elle était élevée par deux mamans…
On fait le choix du bourreau: lui a droit à l’empathie institutionnelle en tant que Gavroche souvent reçu par les CPE et les chefs d’établissement. Les punitions reçues le stigmatisent. Et l’excuse devient psychologisante: la relation de harcèlement est structurellement duale, la victime a sa part de responsabilité, elle en tire même un bénéfice narcissique. L’autre explication est sociologique.
Quand il brise la mâchoire d’un adulte, quand il lance un cocktail molotov, quand il poignarde un camarade, l’enfant violent lance en fait un appel à l’aide. Il ne sait pas s’exprimer par des mots, avance un linguiste dans une tribune publiée sur Marianne.net, pourtant la gamme d’insultes est pleinement maîtrisée. C’est “la machine scolaire” qui est “ségrégative, inégalitaire et autoritaire” selon G. Chambat (1). Il y a comme un goût romantique pour la violence urbaine de la part de bourgeois s’encanaillant à approcher la misère, que l’on retrouve dans les excuses données aux casseurs. Ces pauvres petits sauvages ne peuvent faire autrement, c’est la société qui les a rendu sauvages, l’école doit les accepter dans cette singularité et ne surtout pas les sanctionner et exiger d’eux un comportement urbain. Les exigences de respect des règles sont stigmatisantes et discriminantes. Et c’est un fait, les petits caïds des établissements sont nettement moins inquiétés que ce que leurs actes mériteraient.
Mais où est la discrimination? Elle est dans le fait de minéraliser les difficultés scolaires et comportementales en s’interdisant d’avoir les mêmes exigences de respect des règles. Elle est dans le fait de tolérer des violences quotidiennes. Dans le fait d’affirmer qu’il n’y a pas d’élève difficile, mais seulement des enseignants en difficulté. Elle est dans le fait de négliger l’apprentissage et la réussite des autres enfants qui ont le tort d’être discrets. L’école publique est aussi et d’abord faite pour eux.
L’idéologie libérale-libertaire des pédagogistes entre en convergence avec l’austérité mise en musique par les hauts-fonctionnaires: il n’y a pas besoin de plus d’adultes, mais il faut des élèves plus acteurs: “La pédagogie sociale qu’il faut remettre à l’ordre du jour est une pédagogie engagée aux côtés des dominés, où l’élève n’est plus le spectateur consommateur de savoirs mais l’auteur de ses apprentissages” (1). Ces propos d’un auteur libéral-libertaire ont été validés par Florence Robine, directrice de l’Enseignement scolaire, qui déclarait que les élèves n’avaient pas besoin des profs, disposant d’un moteur de recherche comme Google. En pédagogie, cela donne la classe inversée. Les élèves apprennent les leçons à la maison, et font des exercices en classe: cette ubérisation de la scolarité est présentée comme innovante. Et peu importe qu’elle laisse sur le côté tant d’élèves qui n’ont pas les équipements à la maison, ni la disponibilité des familles. Pour ceux-là, l’exigence n’est plus d’ordre scolaire, elle est comportementale. L’essentiel étant qu’ils restent à l’école.
Chers parents, on fait tout pour vous culpabiliser de nourrir des attentes vis-à-vis de l’école et vis-à-vis de vos enfants. Les familles des victimes sont invitées à scolariser leurs enfants dans un autre établissement, y compris privé. Parce que, chers parents, vous en avez les moyens et les capacités en termes de mobilité. Honte à vous de profiter de ce service public gratuit alors que vous pouvez aller dans le privé. L’école publique, selon ces bonnes âmes, c’est d’abord fait pour ces gamins devenant des barbares. Pas à cause de l’école et de la société. Mais parce l’Etat, le Ministère de l’Education Nationale, de l’Intérieur, abdiquent leur autorité et nourrissent chez eux un sentiment de toute-puissance et d’impunité totale, sentiment qui compromet l’acte éducatif qui est aussi là pour poser des limites. Les hauts-fonctionnaires et les pédagogues ont fait de l’école un lieu peu sûr pour vos enfants et pour les enseignants. L’Education Nationale a fait le choix des bourreaux.
- Grégory Chambat, L’école des réacs-publicains, libertalia, 2016, p. 194
Par Fatiha Boudjahlat
CREDIT PHOTO : Patrick KOVARIK /// Le Premier ministre Manuel Valls et la ministre de l’Education Nationale Najat Vallaud-Belkacem dans une école primaire le 16 novembre 2015 à Paris.