Le Huffington Post / Fatiha Boudjahlat : Réformer le droit du sol ? La Nation contre la Tribu

En République, c’est la citoyenneté qui reflète la conception que l’on a de la Nation, plus que la Nationalité. Depuis le XIXe siècle, »la nationalité [définit] le lien qui relie par le Droit un Etat à sa population constitutive » (1). Monsieur Sarkozy droitise son discours. La vision de la nationalité et de la Nation est un fort marqueur qui distingue la gauche de la droite (2), en même temps qu’il traverse ces deux familles politiques en opposant les conceptions identitaires, aussi bien celles du FN du Sud, canal historique que celles des indigénistes, à celle républicaine, qui est politique.

Dans son interview dans Valeurs Actuelles, Nicolas Sarkozy refait du Buisson, le feedback de sa défaite de 2012 n’ayant pas été concluant. Il n’oublie pas qu’il gagnera la primaire en incarnant une droite identitaire, en mobilisant les plus droitiers, qui se déplaceront pour aller voter. Pour ce faire, il renoue avec les vieilles recettes: répondre au terrorisme et à la crise de valeurs par des dispositions de type concordataire, comme le gouvernement s’y est essayé, était stupide et anti-républicain. Répondre au même problème en rejouant avec la nationalité est tout aussi stupide et anti-républicain: c’est jeter le soupçon sur les enfants d’immigrés, un soupçon d’ordre ethnique, culturel et religieux. Voilà inventé un drôle d’objet juridique, celui de « présomption de nationalité », prônant une « modification assez substantielle » du droit du sol (3). Est-ce le côté sécuritaire dissuasif d’une telle mesure qui intéresse M. Sarkozy ? Ou est-ce l’idéologie identitaire ?

C’est donc l’automaticité que remet en cause le candidat Sarkozy. On a pourtant déjà pratiqué dans un passé récent: avant 1993, la nationalité s’obtenait automatiquement à la majorité ou sur demande des parents durant la minorité de l’enfant. Avec la loi adoptée en 1993, c’est au jeune de manifester sa volonté de devenir Français en effectuant une déclaration entre 16 et 21 ans. Dès lors, l’obtention de la nationalité française pour des enfants nés de parents non Français n’a plus été automatique de 1993 à 1998. La loi est corrigée en 1998, non pour des raisons morales, mais en raison d’inégalités dans l’application de la mesure. Ainsi, depuis 1998, le jeune peut l’obtenir avant ses 18 ans sur demande, sinon, il devient Français à ses 18 ans automatiquement. Mais en quoi la déclaration rendrait meilleur le candidat à la nationalité ? On passe de l’administratif « qu’est-ce qu’un Français ? » au politique et à l’idéologique « qu’est-ce qu’un bon Français ? ». Celui là doit donner des preuves d’amour ? Verbaliser son envie déboucherait-il sur une métabolisation de la nationalité? Pour ce faire, il ne doit pas s’agir d’une déclaration, simple procédure administrative, mais de la formulation d’une allégeance, sous la forme d’un serment prêté par exemple. Ce que Nicolas Sarkozy ne propose pas. Et qu’il faudrait alors étendre aux époux non Français qui bénéficient du même système après quatre ans de mariage et de vie conjugale avec un Français.

Vieille recette de la droite. En 1984, nous rappelle Patrick Weil dans Le Sens de la République (4) «  le député A.Griotteray prône l’instauration d’un strict jus sanguinis [doit du sang] accompagné d’une procédure de naturalisation qui permettrait de mieux sélectionner l’origine des nouveaux Français « . Les Républicains-ex UMP déclarent que la nationalité française se mérite. Le mérite… Concept républicain. Détachée de toute dimension ethnique, la nationalité serait octroyée en contrepartie d’actes et de paroles mettant en avant la socialisation du prétendant, lui qui doit se montrer digne de nous. Chiche! Sauf que la nationalité s’hérite, par le droit du sang. Et à ceux qui sont Français par le droit du sang, on ne demande rien. C’est tout aussi insatisfaisant. C’est valoriser « ceux qui se sont juste donnés la peine de naître ». C’est tribaliser la Nation, la naturaliser.

C’est de ce côté identitaire qu’il faut chercher le sens de la déclaration de Nicolas Sarkozy, visant, de son propre aveu, à récupérer les électeurs du Front National, ceux de Marion Maréchal-Le Pen en fait. Ces deux personnalités introduisent donc une nationalité à géométrie variable. On serait plus Français, puisque naturellement, par le droit du sang, que par le droit du sol, puisqu’il faut donner des gages. S’agit-il donc de n’accepter que ceux qui se seront montrés dignes de nous ? En dispensant les autres de cet effort ? La suspicion est jetée sur la communauté nationale et sa réticence à recevoir certains de ses enfants.

La question importante réside dans la conception que nous voulons défendre de la nation française et de son identité: qu’est-ce qu’être Français ? Rien de biologique, rien de providentiel, mais un droit, c’est-à-dire en l’occurrence un ensemble de procédures juridiques, adapté en fonction des besoins économiques, politiques ou natalistes du moment, ce qu’explique bien l’œuvre de Patrick Weil. Avec ces propos, M. Sarkozy ajoute de l’opportunisme et une insécurité. Insécurité des récipiendaires de cette nationalité plutôt dangereuse, qui pousse à la méfiance, à questionner sa filiation et à la remettre entre les mains sécurisantes de l’essentialisme ethnico-religieux. Ils ne seront pas Français ? Ils n’en seront que plus musulmans, puisque c’est bien eux qui sont visés par cet appel du pied à l’électorat frontiste, l’oumma étant plus accueillante que la France.

« Ce n’est pas le droit de la nationalité qui doit faire l’objet de nos préoccupations légitimes, mais plutôt la citoyenneté »

Nicolas Sarkozy, en se jetant dans l’idéologie identitaire valide la position du Parti des Indigènes de la République puisqu’on demande à des natifs de France ce que l’on ne demande pas à ceux bénéficiant du droit du sang: L’identité est pour les indigénistes ethnique et religieuse. Cette « présomption de nationalité », c’est de la sous-nationalité française propre à alimenter le rejet et l’amertume.

Ce n’est pas le droit de la nationalité qui doit faire l’objet de nos préoccupations légitimes, mais plutôt la citoyenneté, c’est-à-dire le respect des lois sur tout le territoire, cette citoyenneté qui ne s’épuise pas dans la réclamation des droits et l’exercice de libertés, mais qui émancipe et unit dans l’accomplissement de ses devoirs, transmet un sentiment d’appartenance et enracine. Il est préférable que l’identité (5) soit liée à l’exercice de la citoyenneté plutôt qu’à une essence. Et en République, on se doit d’être aussi exigeants envers les Français par le droit du sang qu’envers les Français par le droit du sol. Il s’agit du patriotisme, c’est-à-dire de la filiation acceptée, envers un passé que l’on embrasse comme commun, et de la filiation envers les autres citoyens, et que l’on reconnait comme ses compatriotes, c’est-à-dire comme ses égaux et « frères » en Nation.

Il faut redire que la religion ne saurait être l’identité première d’un individu, l’identité étant individuelle, personnelle, construite. Et il faut réaffirmer dès les petites sections, la primauté du Droit que la Nation s’est donnée, sur les normes religieuses et les traditions. Et il faut redire que le patriotisme s’apprend à condition qu’il soit enseigné. Pour dire les choses franchement: on demande des gages non pas d’intégration, mais d’amour de la France. Mais quelle est leur valeur s’ils sont contraints et réduits à une déclaration à 18 ans ?

On s’éloigne de la Nation, ce corps politique propre à intégrer et à mobiliser sur des idées et des actes et non à assigner à résidence communautaire, pour se rapprocher de la Tribu. L’alternative se fera-t-elle entre cette conception droitiste qui lie la nationalité à l’identité par le droit du sang et celle de la gauche du gouvernement qui se refuse à avoir la moindre exigence en termes de citoyenneté ?

1) Patrick Weil, Qu’est-ce qu’un Français ?, p 13, Foliohistoire, édition augmentée, 2004.

2) La gauche semblant privilégier le droit du sol, la droite le droit du sang, et les milieux associatifs, les droits sans la nationalité.

3) Repris par le quotidien Le Monde.fr du 11 août 2016.

4) Avec Nicolas Truong, Grasset, juin 2015.

5) Patrick Weil associe dans Le Sens de la République, l’identité française à quatre piliers: L’égalité sur le territoire Français des citoyens, la langue française, la mémoire partagée de la Révolution Française et de ses valeurs et la laïcité.

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