Depuis deux ans, une avocate se rend dans des collèges et des lycées pour faire réagir les élèves sur la question de la liberté d’expression. Ce qui suscite des réactions variées.
«Si je dis que la religion c’est de la merde, ça vous choque ? » Anne Dunan n’y va pas par quatre chemins pour faire entendre aux onze adolescentes face à elle, dans une salle du lycée Claret de Toulon (Var), ce que sont la liberté d’expression, le blasphème, l’injure. Elle avait prévenu, au début de la séance : « On est entre nous, on parle cash, vous pouvez poser toutes les questions. »
Puis, ce bout de femme en jupe prune et haut pailleté a affiché au tableau des unes polémiques de « Charlie Hebdo ». Elle n’est pas enseignante mais avocate, et décidée à porter une liberté de parole parfois difficile à faire résonner entre les murs des salles de classe.
Débat animé
Voilà deux ans qu’elle propose bénévolement ses services aux collèges et lycées de la région, en tant que militante associative et membre de la réserve citoyenne de l’Education nationale. Au lycée Claret, on est très preneur de ses exposés : les six classes de première, largement féminines, doivent y passer cette année. « La parole d’un intervenant extérieur porte beaucoup plus que celle des professeurs, parce qu’on est dans le vécu, dans le témoignage », analyse le proviseur, Patrice Mascarte. Dans cet établissement professionnel de 500 élèves, deux lycéennes sont suivies par la préfecture pour un risque de radicalisation islamiste et une troisième inquiète les autorités. Au-delà de ces cas, « il est très difficile de faire sortir les élèves des théories du complot, déplore Brigitte Mir, enseignante de français et d’histoire-géographie. Certains voient les frères Kouachi ou Mohammed Merah comme des gens qui ont du cran, des jeunes qui sont allés au bout de leurs idées.»
Nour, 17 ans, est au contraire au clair sur l’idée que le terrorisme doit être condamné et combattu. Devant la une de « Charlie Hebdo » montrant un prophète déprimé, avec cette phrase « C’est dur d’être aimé par des cons », elle applaudit : « Ça, je pourrais l’acheter. » Elle rit devant l’image de François Hollande sur un scooter, légendé « Fast and Furious ». Mais elle n’accepte pas les caricatures sur la mort des migrants naufragés ou le droit au blasphème. « Je comprends, mais je ne suis pas d’accord », dit-elle.
Dans la salle, face à Anne Dunan, la moitié des chaises sont vides, la classe est décimée par la grippe, et aussi par un absentéisme persistant. Pourtant, le débat est animé. Sabrina, 18 ans, au premier rang, campe sur ses positions : « Le blasphème devrait être interdit par la loi. Si on critique ma religion, c’est à moi qu’on fait mal. » Lydia pense qu’il y a en France « trop de liberté d’expression, c’est ce qui cause des problèmes ». Pour à peu près toutes les élèves, « critiquer » est synonyme de « mal parler ». Anne Dunan en appelle à Voltaire et aux Lumières. Et insiste : « Critiquer, c’est se poser des questions. »
Besoin de parler
Selon les statistiques administratives, les lycéens de Claret sont les plus défavorisés de l’académie de Nice. « Il n’y a pas beaucoup d’élèves dans la classe qui n’ont pas de problème personnel, constate leur professeur de français et d’histoire-géographie, Catherine Waldet. Mais elles sont très ouvertes et ont besoin de parler : pour elles, ces sujets ne sont pas de la théorie, c’est leur vie. »
Nour s’est entendu dire deux fois dans le bus qu’elle ferait mieux de « retourner au bled ». Sabrina raconte qu’elle s’est fait « frapper et cracher dessus », il y a deux ans, parce qu’elle portait à l’époque un voile intégral. Elle n’a pas déposé plainte. « J’ai changé ma manière de m’habiller », précise-t-elle, aujourd’hui en pull gris et pantalon passe-partout. Mais, aussitôt les cours terminés, elle sort de son sac épingles et étoffe, et rajuste son voile noir. « C’est une partie de moi », précise-t-elle.
Le Parisien par Christel BRIGAUDEAU — Anne DUNAN