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Le Huffington Post / Fatiha Boudjahlat : Plus d’autorité, moins de force, voilà comment doit répondre l’Etat face aux bavures policières
Quel triste constat: les policiers interviennent dans ces quartiers comme des soldats en territoire ennemi. Les habitants de ces quartiers demandent de l’ordre mais considèrent les policiers comme des troupes d’occupation.
Théo Luhaka a été victime d’une bavure policière. Monsieur Luhaka a été victime d’une bavure policière. Il a été victime d’un abus, de violences policières. Il est une victime. C’est le premier fait à poser. En aucune manière on ne peut justifier un pareil mode d’interpellation au nom de la violence légale. Et rien ne pourra jamais justifier que l’on introduise une matraque télescopique dans l’anus d’une personne. Le ridicule de la défense qui consiste à présenter ce qui est décrit partout dans la presse comme un viol manifeste comme un accident ajoute un peu plus à l’horreur et constitue une circonstance aggravante. Il s’agissait d’humilier un homme. Ce ne peut être non plus un geste dont la maladresse aurait été dictée par le stress ou la peur. Comment ne pas imaginer qu’il s’agissait là d’un geste appris sous le manteau au sein de ces brigades spéciales qui, évoluant en milieu hostile, peuvent devenir des brigades d’exception?
Ce n’est pas l’Etat d’urgence qui est en cause. Ce sont plutôt ces brigades spéciales affectées aux quartiers, comprenant bien trop de jeunes éléments, dont il faut questionner les méthodes et les instructions qu’elles reçoivent.
La violence disproportionnée et cet acte d’une gravité inouïe apparaissent comme la surcompensation brutale de l’affaiblissement de l’autorité de l’Etat dans ces territoires en dérive. Quand on voit la SNCF et la RATP disposer de forces de sécurité armées, on ne peut que se questionner sur la privatisation de cette mission régalienne de l’Etat. Ce n’est pas l’uniforme qui fait la force. Ce ne sont pas les armes qui font la force, certains caïds sont aussi bien armés que les policiers. Ce qui fait leur force est l’autorité, la auctoritas, signifiée par l’insigne.
Et l’autorité n’est pas la démonstration sauvage d’une supériorité physique ou en nombre. Elle repose sur un consentement, elle provient d’abord de la population qui reconnaît aux agents de police le droit de les contrôler, de les verbaliser, ou de les arrêter. Ce consentement n’existe plus dans certains territoires, chez certaines catégories de la population, ou lors de moments de graves troubles à l’ordre public. Les faits divers le montrent assez bien: ces gens du voyage qui saccagèrent des voitures, des commerces, qui coupèrent les voies ferroviaires à Moirans le 20 Octobre 2015 pour exiger la sortie de prison de l’un d’entre eux et lui permettre d’assister à des obsèques familiales. Puisque les forces de l’ordre ne sont que des forces, il suffit de créer un autre rapport de… force et un désordre assez grand pour négocier avec l’Etat. Ces graves troubles à l’ordre public sont suivis le plus souvent d’une impunité visant à ramener la paix sociale au prix d’une lâcheté qui n’échappe à personne. Combien d’agriculteurs interpelés lors de saccages? Contre combien de syndiqués, de Goodyear à Air France, en passant par les manifestations contre la loi Travail? L’Etat semble jouer les forts avec les faibles, et s’avère bien faible avec les forts. C’est ce qui brise le lien dialectique de l’autorité.
On dit aux policiers de laisser faire dans les quartiers, que le prix de ce laisser-faire est acceptable, et même efficient au regard des conséquences d’une intervention. Les forces de l’ordre sont noyées sous des injonctions paradoxales: ne pas intervenir sur la « petite » délinquance pour au contraire faire du chiffre et du spectaculaire à l’occasion de descentes dans les quartiers. Les policiers patrouillent sans stationner, les interventions sont rares, ce qui les rend exceptionnelles et requiert une démonstration de force à chaque fois plus importante. L’Etat paraît ainsi faible quand il déploie de tels moyens.
L’expression polémique de « territoires perdus de la République » n’est pas fausse: la territorialisation désigne le processus d’inscription d’une autorité dans un territoire, son appropriation réelle ou figurée par ses habitants. L’Etat est incapable de fixer les limites et les figures d’autorité ne sont plus les forces de l’ordre dans les quartiers. C’est la loi du plus fort qui prévaut et l’Etat n’est pas toujours le plus fort. Les forces de l’ordre sont vues comme des intrus, des barbouzes oscillant entre laisser-faire et intervention brutale. C’est la grande conséquence de la fin de la police de proximité, que l’on doit à Nicolas Sarkozy. Les policiers, eux-mêmes dans la peur (en grande partie justifiée, tant certains délinquants sont désormais décidés à tuer) des jeunes de ces quartiers, interviennent avec une démonstration de force disproportionnée. Avec Théo, ce n’est pas la disproportion de la réplique qui est seule en cause. C’est la volonté de la part d’un fonctionnaire de police de marquer un homme, d’attenter à son intégrité, et le sentiment qu’il ne lui en sera pas fait reproche.
Quel triste constat: les policiers interviennent dans ces quartiers comme des soldats en territoire ennemi. Les habitants de ces quartiers demandent de l’ordre mais considèrent les policiers comme des troupes d’occupation. Ces jeunes traitent ces policiers comme des ennemis et créent autant que les moins professionnels de ces derniers, ces situations explosives.
Théo a subi une violence inacceptable. Ces quatre policiers n’ont pas été à la hauteur de l’autorité qui leur avait été déléguée. Et les fauteurs de troubles vont capitaliser politiquement sur cette bavure, trop contents d’accuser l’Etat, la police, la République, eux qui restent bien silencieux quand des guets apens sont tendus aux forces de l’ordre, parce qu’il s’agirait d’une bonne vieille lutte légitime.
L’Etat a montré son autorité en traduisant en justice ces quatre policiers. Le système a bien fonctionné. Le jeune homme a été hospitalisé, les médecins ont établi la nature et la gravité des faits subis, ces policiers ont été placés en garde à vue et seront jugés. L’Etat doit restaurer son autorité en banalisant sa présence dans ces territoires, autrement que sous la forme de guichets d’assistance ouverts aux horaires de bureaux.