Retour sur l’affaire “du serment”

Deux types de contentieux individuels alimentent la jurisprudence relative au fait religieux en entreprise.

D’une part, ceux qui naissent de la manifestation, sur son lieu de travail ou à l’occasion de son travail, de sa religiosité et d’autre part, les litiges qui se rattachent au refus d’effectuer une tâche en raison de sa religion.

C’est sur ce dernier aspect que la Cour de cassation est revenue, dans un arrêt rendu le 1er février dernier (Cass. soc., 1er févr. 2017, n° 16-10459), à l’occasion d’un licenciement d’une contrôleuse – stagiaire de la RATP ayant refusé, en vue de son assermentation devant le Président du Tribunal de Grande Instance, de prêter serment en utilisant la formule « je jure », ce refus étant motivé par ses convictions religieuses.

La salariée avait toutefois proposé au cours de l’audience de modifier la formule de prestation, en sorte de respecter sa foi, ce que le Tribunal avait refusé, son Président faisant alors acter du refus pur et simple de l’intéressée.

  • La particularité de cette affaire est de nous enseigner les limites pratiques du recours au licenciement pour motif disciplinaire, dans l’hypothèse où le fait religieux s’invite dans l’entreprise.

En l’espèce, la salariée avait fait l’objet d’un licenciement pour faute grave, le courrier de rupture imputant à titre de faute, le fait de refuser de prêter serment dans les formes requises par le Tribunal. La Cour de cassation avait cassé l’arrêt d’appel qui jugeait le licenciement bien -fondé au motif que cette mesure portait atteinte à la liberté de croyance et discriminait la salariée.

Cette décision avait pu choquer à première vue les non juristes.

En effet, on comprend parfaitement que beaucoup ont reproché à la Cour de cassation d’avoir rendu, en quelque sorte, l’employeur responsable d’une décision du Tribunal de Grande Instance, qui, par la voix de son président, refusait d’accepter la demande de cette salariée.

Après tout, l’employeur n’était – il pas tenu de respecter une décision de l’autorité judiciaire et comment, dès lors, aurait-il pu employer cette salariée en violation de la loi du 15 juillet 1845, qui rend pour les agents de la RATP affectés aux tâches de contrôle ce serment obligatoire ?

Pourtant, cette analyse est doublement fausse.

Tout d’abord, l’article 23 de la loi de 1845 dispose que le serment des agents de surveillance peut être reçu selon les formes en usage dans leur religion. Par conséquent, il ne pouvait être reproché à cette salariée d’avoir commis un manquement disciplinaire, pour avoir refusé de prêter serment tout en manifestant de façon expresse le souhait de le faire au moyen d’une formule conforme à sa religion.

Il ne pouvait s’agir dès lors ni d’une faute imputable à cette salariée, ni, a fortiori, d’une faute grave.

Cependant, l’apport majeur de cette affaire ne réside pas ici.

 

En droit du travail, seuls les termes du courrier de licenciement lient le juge. On dit usuellement qu’ils « fixent les limites du litige ».

Le Conseil de prud’hommes ne peut donc plus revenir en arrière et l’employeur ne peut pas se défendre autrement qu’en établissant le bien-fondé des motifs qu’il a mobilisés dans sa lettre de licenciement.

Il n’existe donc pas de possibilité de substituer en cours de procès un motif qui n’aurait pas été initialement invoqué dans le courrier de notification à un autre.

Le licenciement pour motif individuel peut par ailleurs présenter un caractère disciplinaire ou non disciplinaire.

Est un licenciement disciplinaire toute rupture notifiée en raison d’une faute que l’on reproche au salarié: son comportement lui est alors reproché. A l’inverse, le licenciement non disciplinaire trouve sa cause dans une impossibilité de poursuivre la relation contractuelle indépendante d’un manquement.

  • Appliqué au fait religieux en entreprise, dans le premier cas, c’est le refus du salarié qui constitue un motif et ce motif est disciplinaire, tandis que dans le second cas, c’est la situation objective qui résulte de ce refus qui est mobilisée en tant que motif de licenciement.

On comprend dès lors qu’il n’est pas impossible, ni rare, qu’une même situation puisse permettre à un employeur d’opérer un choix stratégique sur le motif de rupture.

L’exemple topique du voile en entreprise permettra par exemple , sous réserve de respecter les libertés fondamentales et les droits de la salariée, de licencier celle-ci en raison du refus de retirer son voile après avoir été sommée de le faire, dans une situation où l’employeur s’estimerait légitime dans cette action. Au besoin, une clause du règlement intérieur pourra appuyer cette décision et une discussion s’engagera en cas de contentieux sur la validité de cette clause, comme l’affaire  » baby Loup  » l’illustra en son temps.

Mais ce même exemple de refus d’ôter son voile pourra également donner lieu à un licenciement pour trouble du fonctionnement de l’entreprise, ce qui constitue un motif non disciplinaire.

En clair, ce n’est pas le comportement de la salariée qui sera ici visé dans le motif de licenciement, mais ses conséquences objectives, telles que les effets de cette situation sur le comportement de la clientèle, des collègues ou plus généralement le fonctionnement de l’entreprise. Dans ce cas précis, il ne sera pas possible, toutefois, de prétendre qu’une attitude discriminatoire de la clientèle serait un motif valable : il faudra donc décrire et surtout établir en quoi la situation née du port d’un voile ou de tout autre signe ostentatoire religieux compromet le bon fonctionnement de l’entreprise. Dans certaines espèces, il peut s’agir d’un trouble lié à la nature de l’activité exercée, de sa localisation ou de la spécificité de la clientèle.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt rendu le 1er février dernier, il aurait sans doute été plus opportun de motiver le licenciement de cette salarié, non pas par le caractère fautif de son refus, mais par l’impossibilité objective de poursuivre la relation contractuelle en raison de l’absence de serment, celui-ci s’avérant être une condition substantielle de l’exercice de la prestation de travail contractualisée entre les parties.

Sans garantie absolue, cette solution aurait autorisé l’employeur en cas de contentieux, à invoquer comme cause première et déterminante une situation de fait née d’une décision totalement indépendante de sa volonté, à l’origine d’une impossibilité d’exécuter le contrat de travail, mais aussi contester toute atteinte à l’article 9 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, s’agissant de la relation de travail.

Ainsi, devant un refus motivé par le fait religieux, bien souvent, l’employeur doit choisir et ce choix n’est ni aisé, ni certain. Le caractère disciplinaire amène immanquablement à s’attarder sur l’absence de discrimination tandis que le trouble objectif, s’il n’écarte pas cette discussion, implique également de réunir des éléments de preuve sur l’atteinte au fonctionnement d’une entreprise, ce qui , en pratique peut souvent d’avérer très délicat.