À l’instar de l’UFAL, Viv(r)e la République s’inquiète des initiatives gouvernementales en matière de laïcité. Il ne s’agit plus ici d’une simple réaction à des discours ou à un tweet, mais de l’orientation d’un gouvernement dans les actes, qui interpelle.
Le projet de loi «pour un État au service d’une société de confiance» présenté par Gérald Darmanin est un de ces nombreux textes fourre-tout dans lequel se cachent une myriade de dispositions diverses et hélas, trop souvent, de mauvaises surprises.
Coincé entre l’évolution des modalités d’évaluation des anciens plans départementaux des déchets et l’évolution des conditions de recherche et d’exploitation de l’énergie géothermique haute et basse température, l’article 38 de ce projet institue sans bruit une modification de la Loi de 1905 et du statut des cultes qui s’inscrit clairement à contre sens du principe selon lequel l’Etat ne finance aucun culte.
Le gouvernement souhaite en effet, dans son exposé des motifs, renforcer les ressources des associations cultuelles, alors même qu’il est aujourd’hui de principe qu’elles ne peuvent, sauf exceptions, recevoir des financements publics.
D’apparence bénine, ce texte dispose:
«I. – La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État est ainsi modifiée :
1° À l’article 19, après le huitième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« [Les Associations cultuelles] pourront posséder et administrer tout immeuble acquis à titre gratuit. » ;
Cet article autorise les associations cultuelles à détenir et administrer tout immeuble acquis à titre gratuit alors même que l’affectation de ces immeubles n’est pas nécessairement dédiée à l’exercice d’un culte.
Or, aux termes des articles 4 et 19 de la Loi de 1905 en leur rédaction initiale, les associations cultuelles ne peuvent avoir comme objet exclusif que l’exercice d’un culte. C’est à cette condition, notamment, qu’elles se voient totalement exonérées des droits de mutation à titre gratuit lorsqu’un édifice religieux privé ou un bâtiment leur est légué.
En autorisant une association cultuelle à détenir et « administrer » tout immeuble objet d’une donation ou d’un leg, le gouvernement entend donc lui permettre de bénéficier d’un substantiel avantage par une exemption d’impôt qui s’apparente à un financement indirect.
Un immeuble préalablement acquis par un riche donateur et au sein duquel s’exerce l’activité d’une association culturelle ou d’une école privée louant ces locaux entrerait ainsi dans ce cadre et permettait à la faveur d’une donation exemptée de droits de mutation à une association cultuelle de percevoir par ailleurs des loyers.
Il s’agit donc d’une dérogation au principe prévu par l’article 19 selon lequel « les associations cultuelles pourront recevoir, dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de l’article 910 du code civil, les libéralités testamentaires et entre vifs destinées à l’accomplissement de leur objet ou grevées de charges pieuses ou cultuelles».
Mieux, l’article 19 de la Loi de 1905 permet par ailleurs aux associations cultuelles de «verser, sans donner lieu à perception de droits, le surplus de leurs recettes à d’autres associations constituées pour le même objet».
Il donc parfaitement concevable d’envisager le développement d’un culte sur deniers publics, par l’exemption d’impôt du surplus des recettes que pourrait indirectement provoquer l’avantage né d’une donation d’un bien immeuble.
Évidement, le projet de loi Darmanin ne remet pas directement en cause le principe fiscal de distinction des activités accessoires et commerciales de celles exclusivement rattachées à la pratique d’un culte.
Pas plus, il ne saurait être affirmé que ce projet de loi violerait en l’état la Constitution, puisque si son article premier proclame la République laïque, le conseil constitutionnel n’a que partiellement envisagé d’expliciter ce qu’il faut entendre par là et a refusé de donner à la règle du non financement public des cultes un caractère constitutionnel.
Ainsi, la Loi du 19 août 1920 autorisant le financement de la construction d’une grande mosquée de Paris, l’article L.1311-2 du Code général des collectivités territoriales au sujet des baux emphytéotiques, l’article 11 de la Loi de finances de 1969 s’agissant des garanties d’emprunt octroyées par les collectivités pour les besoins de la construction d’un culte, constituent autant d’exceptions légales au principe de non financement public des cultes.
Le problème n’est donc pas juridique mais politique. Les contempteurs de la laïcité en tant que modalité d’organisation d’un système politique et facteur d’émancipation individuelle seraient tout à fait fondés à opposer la légalité de la réforme ici défendue par Gérald Darmanin.
La question de son bien fondé reste pour autant légitime et Viv(r)e la République ne peut que désapprouver cette initiative. Il ne revient pas à l’Etat de combler l’insuffisance prétendue du financement par les adeptes d’un culte. Au-delà de la question de principe, ce sont en outre davantage de dérives qui sont à prévoir dans un contexte déjà difficile, où la question du rapport de l’état aux religions est sans cesse dévoyée par les tenants d’un communautarisme élémentaire et par l’extrême droite. Affirmer que l’état ne subventionne aucun culte devient de plus en plus illisible à mesure que les exceptions à ce principe se multiplient*.
* d’autres modifications de la Loi de 1905 et des rapports entre les cultes et l’Etat sont institués par l’article 38 du projets. Par souci de clarté, nous ne les présentons pas dans ce billet.