Dans l’édition du 6 mars des Echos, Gaspard Koenig publiait une tribune intitulée « Les femmes voilées ont droit de courir », disponible ici

Cette tribune, qui partait sans doute d’une bonne intention, est malheureusement truffée d’erreurs.

1/ Le hijab de sport n’a pas été interdit.

Et il est inutile de le laisser entendre. L’Etat n’a pas utilisé sa force pour interdire à Décathlon de vendre son hijab. Le nombre de ceux qui ont réclamé une telle interdiction est limité.

Menaces inadmissibles mises à part, des citoyens libres ont utilisé leur liberté d’expression pour exprimer leur désapprobation vis-à-vis de la vente de ce voile. Face à cette désapprobation, Décathlon a choisi, librement, de ne pas le commercialiser.

Il n’y a pas plus libéral que cette suite d’événements.

2/ L’argument du porte-jarretelles est mauvais.

Voici un argument qu’on serait en droit d’attendre de Marwan Muhammad ou de Caroline de Haas, et de sa troupe des féministes constructivistes. Il est plus étonnant de le voir sortir de la plume de Gaspard Koenig, qu’on a décidément connu plus inspiré.

Il suffirait de rappeler que la « liberté de se vêtir comme on le souhaite » ne s’applique pas réellement au porte-jarretelles, dans un pays qui, il y a peu, condamnait encore le racolage passif et l’outrage à la pudeur.

Pour celles qui voudraient tenter la comparaison, rappelons que l’article 222-32 du code pénal dispose que «l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende».

Ce qui explique sans doute pourquoi on ne voit pas si souvent de femmes marcher en porte jarretelles dans la rue. De ce point de vue, la législation relative au voile est donc nettement plus permissive que la législation relative au porte-jarretelles.

Gaspard Koenig a prouvé ici l’inverse de ce qu’il souhaitait prouver. C’est ce qui se passe quand on confond le voile avec un vêtement.

3/ Le voile n’est pas un vêtement, c’est un symbole.

Les vêtements ont pour but de protéger leur porteur des intempéries, ou d’adapter sa condition à la météo.

De ce point de vue, le voile n’est pas un vêtement. On ne le porte pas sous un ciel nuageux, à 35 degrés, pour se protéger des intempéries. On ne le porte pas pour courir pour des raisons pratiques. Décathlon a justement prouvé qu’il nécessitait d’être amélioré, tant il est gênant de courir voilée.

Non, on porte le voile pour porter un message, sur sa foi, sur sa pureté, ou encore sur la visibilité qu’on souhaite donner à sa religion. Il convient donc de ne pas le considérer comme un simple vêtement, mais bien pour ce qu’il est : un symbole, voire un uniforme.

4/ C’est une erreur de penser que face à la force brute, la pensée et le débat s’imposent naturellement.

C’est un biais libéral courant, mais malheureusement dévastateur.

Une idée dans l’air chez les libéraux, est de croire que par la seule pensée, et par la seule force de l’argumentation, le modèle libéral conquiert du terrain dans les zones vivant sous un régime autoritaire.

C’est oublier un peu vite que la pensée ne peut pas s’exprimer sous les fascismes, et qu’elle ne peut même pas se former sous les régimes totalitaires. La force l’en empêche.

Combien envient notre modèle, au Moyen Orient ou ailleurs, mais ne peuvent pas y souscrire parce qu’on les en empêche de force ? Combien n’envient pas du tout notre modèle, tant leur mode de pensée a été modelé pour le rejeter, dès leur plus jeune âge ?

Sans aller si loin, le contexte français et international a changé depuis les temps où les livres chers à Gaspard Koenig ont été rédigés. L’ère moderne fait lentement mais surement place à l’ère post moderne, où la confiance en la science et au progrès cèdent le pas au retour des croyances et des superstitions, et où l’objectivité et l’expertise ne sont plus considérées comme des valeurs supérieures à la subjectivité et à l’expérience vécue.

De nos jours, les scientifiques peinent à convaincre les anti-vaccins de leur folie. Les fake news sont  propagées sciemment par des idéologues que la vérité n’intéresse plus. Le djihad judiciaire, qui prend la forme de plaintes répétées et abusives, musèle ceux dont les arguments contre l’islamisme portent un peu trop loin. Et ne parlons pas de la liberté d’expression et d’opinion dans nos territoires perdus de la République…

Dans ce contexte, les conditions du pluralisme intellectuel et du débat d’idées ne sont plus réunies. Il est donc illusoire d’espérer convaincre des adversaires de mauvaise foi, prêts à tous coups bas pour censurer le camp d’en face.

Pour débattre librement, il faut pouvoir débattre, sans que des forces extérieures ne s’en mêlent.

La liberté ne s’impose que si les structures qui la permettent (Etat de Droit, Droits de l’Homme…) sont défendues par la force régalienne de l’Etat. Cette force n’étant pas absolue (le nombre de policiers ou de militaires est limité), il est essentiel de s’assurer qu’une force ne se constitue pas face à elle, dans des proportions excédant leurs capacités d’intervention.

5/ La Liberté n’a pas vocation à s’appliquer à la mise en place des conditions de sa propre destruction.

Les islamistes encouragent le port ostensible du voile, car leur poids politique est proportionnel à leur visibilité. Ainsi, plus les voiles sont nombreux localement, plus les islamistes peuvent faire jouer le clientélisme en leur faveur. En cela, le voile leur sert d’uniforme.

Et même les plus naïfs ont bien compris que l’islamisme était une idéologie liberticide, à laquelle il était idiot de céder du terrain.

Face à cela, deux stratégies : laisser faire, en espérant que notre modèle séduira ses adversaires. Ou intervenir en amont, pour éviter de laisser se constituer une force liberticide impossible à endiguer.

Empêcher les islamistes de former une force supérieure à celle de a République, au lieu d’attendre tranquillement d’être dépassé et renversé, est une stratégie libérale à imaginer, enfin, pour défendre la Liberté au lieu de la regretter…

Car la Liberté n’a pas vocation à s’appliquer à la mise en place des conditions de sa propre destruction.

Dans un très beau texte, l’un des plus grands auteurs libéraux de l’histoire, John Locke, ne disait pas le contraire.

6/ Gaspard Koenig passe à côté de ce qu’est la France.

En résumé, l’article de Gaspard Koenig est une catastrophe. Il ne défend pas *le* Libéralisme. Il défend une vision communautariste et multiculturaliste de la société, qui s’accorde bon an mal an avec le Libéralisme en Angleterre, mais qui ne s’accorde pas avec notre modèle républicain et assimilationniste (ou ce qu’il en reste) en France.

Parce qu’il est si attiré par le modèle anglais, il en oublie que nous ne sommes pas des Anglais, et que les individus ne viennent pas de l’espace, sans racine, sans histoire, et sans identité. Ils ne sont pas interchangeables. En France, pour les français, le modèle français prime.

Le communautarisme à l’anglo-saxonne n’est pas une déclinaison logique du Libéralisme, il en est le cancer. Il est l’exact opposé du principe constitutionnel français de Nation une et indivisible, qui ne reconnait pas les communautés.

Dans les pays communautaristes, le concept de citoyen est gangréné. Le rapport du citoyen à son pays est faussé, car sa solidarité va à sa communauté avant d’aller à sa Nation. La solidarité nationale est alors écrasée par la solidarité communautaire, et la Cité ne fonctionne plus comme un tout, mais comme une somme de sous-cités aux intérêts parfois divergents.

Or il n’est pas de Libéralisme possible sans responsabilité, garantie par un comportement citoyen pour chaque membre de la Nation. Il n’est pas non plus de solidarité nationale, ni de Fraternité, quand celle-ci va à une communauté particulière au lieu d’aller à la Nation entière.

Dans les pays communautaristes, les valeurs libérales s’effondrent. La liberté et la sécurité s’estompent, dans certains territoires perdus, quand la solidarité communautaire pousse l’ensemble d’un quartier à faire bloc face à la Police. L’égalité en droits n’est plus garantie, quand la concurrence victimaire entre communautés et le clientélisme poussent à instaurer des différences légales de traitement entre individus. Et la fraternité elle-même disparait, quand les différences de valeurs entre communautés exacerbent les tensions entre elles.

Dans ces conditions, ce n’est pas aider le Libéralisme que d’encourager les marqueurs communautaristes. Ce n’est pas lutter pour la Liberté, que d’encourager la réunion des conditions de sa destruction.

Copie à revoir, Gaspard.

* Nicolas Moreau est diplômé d’école de commerce, il a exercé en tant qu’auditeur pendant une décennie, auprès de nombreux acteurs publics, associatifs et privés.