Si j’osais paraphraser Clemenceau, je dirais que la lutte contre l’antisémitisme est une chose trop grave pour la confier aux juifs , car elle est l’affaire de tous.
Tout d’abord, parce que toute forme de rejet de l’autre à raison de sa race, ethnie, couleur de peau ou religion, supposée ou réelle, n’est pas une opinion mais un délit, que l’on doit lourdement condamner.
Or, nos compatriotes hébraïques font, depuis de longues années, l’objet d’un rejet de plus en plus grand d’une partie de la population, particulièrement dans les fameux « territoires perdus de la République ».
C’est la fameuse « alya interne » qui voit nombre d’entre eux quitter certains départements comme le 93 pour s’installer dans le 92 par exemple, et mettre leurs enfants dans des écoles privées où s’appeler Levy ou Cohen n’est pas perçu comme une provocation.
Tout ceci est bien connu, de nombreux articles, livres et surtout faits-divers sordides nous le rappellent trop souvent, hélas.
Mais qui s’en soucie ?
Quels candidats aux municipales de banlieues parisienne, lyonnaise ou autres, s’en sont préoccupés pendant la campagne ? Qui s’en émeut, à part les juifs, justement ?
Là est le problème, qui démontre la forte communautarisation du discours politique et médiatique de notre pays.
Ainsi, comme de vulgaires parts de marché, on s’adressera à des « juifs », des « musulmans », des « jeunes », des « gays » etc. sans plus jamais prendre la peine d’englober l’ensemble, prenant la partie pour le tout, confondant le spécifique et l’universel, distinguant le particulier du commun.
C’est pourquoi, plutôt que de toujours dire « les juifs ne scolarisent plus leurs enfants dans le public » ou « des juifs de France (sic) partent pour de bon en Israël ou ailleurs », il conviendrait tout d’abord de rappeler qu’on parle de français, d’abord et avant tout de français, point.
Et cela, même les personnes les mieux intentionnées ne le font pas toujours, même inconsciemment.
Pourtant, alors que nous sommes en plein dans les procès des attentats de Janvier 2015, on ne peut que constater que nous avions bien à l’époque au moins trois ans de retard.
Les manifestations qui ont rassemblé des millions de français les 10 et 11 janvier auraient déjà dû avoir lieu plus tôt, après l’abominable et innommable attentat de Mohamed Merah envers l’école juive de Toulouse. S’ils furent tués parce que juifs, ce sont avant tout des enfants, des élèves, qui furent emportés par le tueur islamiste, dans une école même. En tout cas, c’est bien cela qui frappe en premier chaque femme et chaque homme, chaque citoyenne et citoyen, de voir de pauvres petits emportés si jeunes…
Si nous n’en sommes plus aux paroles terriblement cyniques d’un Raymond Barre lors de l’attentat de la rue Copernic déplorant alors la perte « d’israélites et de français innocents », il semble qu’il reste encore du chemin pour dire « nous déplorons la perte de nos compatriotes innocents, dont certains tués parce que juifs, ou d’autres parce que militaires ».
Il convient donc aux responsables politiques, associatifs et médiatiques de repenser cette question, pour ne pas laisser le sentiment de lâcher certains français, voire de les cacher derrière une identité forte mais néanmoins incomplète. Pour cela, il est plus que temps de porter ce sujet lors de la campagne présidentielle, et d’en faire un combat national, au même titre que la lutte contre le racisme et contre l’homophobie.
C’est d’autant plus nécessaire que bien souvent les coupables de tels actes sont les mêmes, abreuvés d’une même haine envers l’autre.
Et que, surtout, toutes les victimes sont nos compatriotes.
En effet, si demain plus un seul juif ne vivait en France, serions-nous même encore en France ? Oserions-nous encore nous appeler « République » et scander « Liberté, Liberté chérie » ?
Le départ contraint et forcé, nous savons bien hélas ce que cela veut dire dans notre histoire contemporaine.
Il faut donc dire et redire à tous nos compatriotes juifs ceci : vous êtes ici chez vous, bien chez vous et autant chez vous que moi, et nous autres, vos propres compatriotes, perdrions notre âme à vous laisser partir sans rien faire.
Sébastien Mounier, co fondateur de Viv(r)e la République